Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs
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Valorisation des boues municipales comme matières fertilisantes au Québec

Marc Hébert, agronome, M.SC.
Ministère de l'Environnement
 du Québec

En 2002, on estime qu’il s’est valorisé plus de 1,7 million de tonnes de boues et autres MRF, par épandage direct au sol et par compostage. Les boues municipales comptent pour environ 10 % de cette quantité totale. Le taux de récupération des boues municipales produites représente pour sa part de 11 % (sur base sèche), soit beaucoup moins que l’incinération (46 %) et l’enfouissement sanitaire (43 %). Toutefois, certaines municipalités de taille moyenne affichent un taux élevé de valorisation de leurs boues. Le présent article précise la situation actuelle, expose les exigences légales et administratives, et présente des pistes de solution en vue de l’amélioration du taux de valorisation des boues municipales comme matières fertilisantes au Québec.


Généralités

Les matières résiduelles fertilisantes (MRF) sont des résidus municipaux ou industriels qui ont des propriétés fertilisantes pour les plantes ou des propriétés d’amendement des sols. Les MRF doivent aussi respecter des teneurs limites en contaminants chimiques, en organismes pathogènes et des caractéristiques d’odeurs analogues ou meilleures que celles des engrais de ferme.

Les principaux types de MRF valorisées au Québec sont les boues et les résidus minéraux. Les boues organiques, aussi appelées biosolides, proviennent principalement d’ouvrages d’épuration d’eaux usées de papetières, de municipalités et d’industries agroalimentaires. Les boues sont parfois traitées par compostage ou autrement afin de réduire les odeurs ou la teneur en organismes pathogènes, et ainsi faciliter l’accès aux marchés du produit (compost).

Les résidus minéraux sont pour leur part constitués des cendres de bois, des poussières de cimenteries, des résidus magnésiens, des boues de chaux et autres résidus industriels alcalins.

Les principales utilisations des MRFsont les suivantes :

  1. épandage direct sur les sols agricoles ou les lieux dégradés;
  2. traitement par compostage et utilisation du compost produit;
  3. fabrication de terreaux (principalement à base de composts).

Taux de valorisation des boues comme matières fertilisantes

On valorise au Québec plus de 1,7 million de tonnes humides de résidus par an, comme matières fertilisantes, dont environ 1 M de tonnes par épandage direct et 0,7 M tonnes par compostage. Il s’agit d’une filière quantitativement plus importante que la majorité des filières de récupération couvertes par la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles 1998-2008 (papier, métal, plastique, etc.). Seule la récupération des résidus de démolition et de construction arrive ex aequo, en considérant le Bilan 2002 de la gestion des matières résiduelles au Québec (RECYC-QUÉBEC, 2003). Le compostage et la valorisation des MRF génèrent en outre une activité économique que le ministère de l’Environnement estime à plus de 55 M $/an.

En ce qui concerne les boues, plus spécifiquement, quelque 1,2 M de tonnes (humides) sont valorisées  annuellement. Elles proviennent à 80 % de papetières, à 15 % de municipalités et à 5 % d’industries agroalimentaires. Le Ministère estime que, sur les 160 000 t/an (base humide) de boues municipales récupérées, environ 60 % sont compostées et 40 % sont épandues directement au sol. RECYC-QUÉBEC (2003) estime pour sa part que sur les 218 000 tonnes de boues municipales générées au Québec en 2002 (données calculées sur base sèche), seulement 23 000 tonnes ont été récupérées, la majorité étant incinérées ou enfouies (figure 1). La proportion de boues municipales récupérée (11 %) est même en régression, puisque la quantité valorisée plafonne depuis 1994, alors que les quantités générées ont augmenté de plus de 20 % en 8 ans.

Le faible taux de récupération des boues municipales au Québec contraste avec la situation américaine où environ 50 % des boues municipales sont valorisées comme matières fertilisantes. Cette différence est notamment liée au faible coût de l’enfouissement sanitaire au Québec et à la présence d’incinérateurs dans les grandes villes, que ce soient des incinérateurs dédiés pour les boues (Montréal et Longueuil) ou servant à l’ensemble des résidus municipaux (Québec).

Mentionnons toutefois que Montréal et Québec disposent d’équipements de séchage et de granulation permettant la valorisation d’une partie des boues produites. Cependant, ces équipements ne sont pas actuellement utilisés à Montréal, pour des raisons techniques, et à Québec les boues séchées ne sont pas valorisées comme matières fertilisantes, mais sont incinérées. Laval est une autre grande ville possédant des équipements de séchage et de granulation. Mais le taux de valorisation des boues comme matières fertilisantes a été limité à environ 50 % au cours des deux dernières années, en raison notamment de la difficulté d’obtenir la granulométrie voulue, pour des usages agricoles, et à cause des odeurs.

Outre la ville de Laval, seules les villes de taille moyenne (Gatineau, Sherbrooke, Saguenay, Victoriaville, Saint-Jean-sur-Richelieu, etc.) contribuent significativement au volume de boues municipales valorisées et déviées de l’élimination. Ces boues se présentent sous forme solide et font l’objet de traitements de stabilisation divers dont le compostage, la granulation, le traitement biologique, le traitement chimique, etc. Le succès de la valorisation dans ces villes est principalement attribuable à un ensemble de facteurs, dont :

Figure 1 - Gestion des boues municipales au Québec en 2002 sur base sèche

Figure 1 - Gestion des boues municipales au Québec en 2002 sur base sèche - Source Recyc-Québec, 2003

Source Recyc-Québec, 2003

  1. l’absence d’incinérateurs municipaux;
  2. le coût élevé de l’enfouissement sanitaire dans certaines régions;
  3. l’impossibilité technique d’enfouir certaines boues;
  4. le leadership d’employés municipaux, d’entreprise privées et d’agronomes, au plan technique et au plan des communications.

Soulignons que la ville de Gatineau produit un granule dont la qualité est telle qu’une partie importante est exportée et vendue comme engrais organique en Ontario et dans l’Ouest canadien.

Quelques autres municipalités valorisent également les boues liquides provenant d’étangs et de fosses septiques. Mais les quantités sur base de matière sèche demeurent limitées, notamment pour les étangs dont la vidange ne se fait souvent qu’aux 10-15 ans (Forcier, comm. pers.).

Mentionnons finalement que des entreprises du Québec compostent des boues municipales en provenance d’Ottawa et de la Nouvelle-Angleterre. Cela a contribué à augmenter légèrement la quantité de boues municipales compostées au Québec depuis deux ans. Malgré cela, les boues municipales ne comptaient que pour 12 % du total des matières organiques compostées au Québec en 2002 (Potvin, 2003).

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Exigences légales et administratives

Lorsqu’une municipalité ou une industrie désire valoriser ses biosolides, au moins une des trois approches suivantes doit être envisagée :

  1. certification par le Bureau de normalisation du Québec (BNQ);
  2. demande de certificat d’autorisation auprès du Ministère;
  3. conformité à la Loi fédérale sur les engrais.
  • Certification BNQ

Le BNQ est un organisme parapublic affilié au Conseil canadien des normes (CCN). Le CCN représente pour sa part le Canada auprès de l’Organisation internationale de normalisation (ISO). Dans ce contexte, le BNQ développe des normes canadiennes commerciales, notamment pour les engrais et amendements des sols. Ces normes sont issues de consensus impliquant les utilisateurs/consommateurs, les générateurs de boues et des spécialistes indépendants qui définissent notamment les teneurs limites en contaminants dans les produits. Les trois normes BNQ sur les matières résiduelles fertilisantes (composts, biosolides municipaux granulés et amendements calciques ou magnésiens) peuvent être commandées à l’adresse suivante : https://www.bnq.qc.ca/fr/normalisation.html.

Lorsqu’une norme est publiée par le BNQ, une municipalité ou une industrie peut ensuite procéder à la certification de conformité de ses résidus. Environ 10 % des MRF actuellement valorisées au  Québec sont certifiées par le BNQ, dont un biosolide municipal granulé et trois composts de boues municipales.

Les principaux avantages de la certification BNQ sont liés aux éléments suivants :

  1. l’acceptabilité sociale par l’utilisation d’un label reconnu;
  2. la qualité contrôlée par un tiers indépendant, aux frais des générateurs;
  3. la plus-value (produit vs résidu);
  4. la libre circulation des produits.

Cependant, la normalisation et la certification BNQ sont des processus laborieux et coûteux, à l’instar de la certification de type ISO 14 000. Il en coûte environ 14 000 $ /entreprise par an, en coûts directs et indirects, pour qu’un produit soit certifié par le BNQ.

  • Certificat d’autorisation du ministère de l’Environnement

Puisque la majorité des biosolides municipaux valorisés ne sont pas actuellement certifiés par le BNQ, le promoteur doit alors faire une demande de certificat d’autorisation (CA) auprès du ministère de l’Environnement du Québec.

Pour ce faire, le Ministère a élaboré des normes réglementaires et des critères de valorisation, dont des teneurs limites en contaminants qui sont harmonisées dans une large mesure avec celles des normes BNQ. Les exigences du Ministère sont regroupées dans un document technique disponible à l’adresse suivante : http://www.environnement.gouv.qc.ca/
matieres/mat_res/fertilisantes/critere/index.htm

Parmi les avantages des CA, on note :

  1. un suivi étroit par le Ministère, de nature à dissuader et limiter les risques d’illégalité;

  2. un taux élevé de conformité aux critères de teneurs limites en métaux lourds (96 %);

  3. un moindre coût pour de petites quantités de boues que la certification BNQ.

En contrepartie, il en coûte à l’État plus de 600 000 $/an en frais administratifs our le traitement des quelque 900 demandes de CA/an pour l’ensemble des directions régionales du Ministère. Ces coûts ne tiennent pas compte des ressources affectées au contrôle terrain, pour le respect des CA, et celles attribuées à l’élaboration des normes et critères.

  • Conformité à la loi fédérale

Nonobstant qu’un résidu soit certifié par le BNQ, ou fasse l’objet d’un CA par le ministère de l’Environnement, toute matière fertilisante qui est vendue ou importée doit être conforme à la Loi et au Règlement sur les engrais. Ces normes fédérales sont administrées par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA). Les teneurs limites en contaminants sont analogues à celles du BNQ et du ministère de l’Environnement du Québec (catégorie C2-P1). Les normes de l’ACIA peuvent être consultées à l’adresse suivante : http://www.inspection.gc.ca/francais/
plaveg/fereng/ferengf.shtml.

Il est à noter que le ministère de l’Environnement n’exige pas de CA dans le cas des boues et autres MRF vendues en petits contenants pour un usage domestique et conformément à la loi fédérale.

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Facteurs de succès de l’approche québécoise

Mis à part la valorisation des boues municipales et le compostage des autres résidus organiques municipaux, la valorisation des MRF au Québec est dans l’ensemble considérable et en progression constante. Les principaux « facteurs de succès » sont :

  1. les leçons tirées de l’expérience américaine et européenne;
  2. des MRF qui respectent des teneurs limites en contaminants parmi les plus sévères au monde;
  3. des investissements significatifs en R et D par le gouvernement et l’industrie;
  4. une participation active des chercheurs scientifiques et des agronomes;
  5. des consultations publiques;
  6. un effort particulier au plan de la diffusion de l’information par le Ministère;
  7. la notoriété de la certification BNQ;
  8. le dynamisme de l’entreprise privée, notamment le secteur du compostage.

Éléments à améliorer

Certains éléments doivent être améliorés dans l’approche actuelle de valorisation, notamment en ce qui concerne le taux de valorisation des boues municipales (et le compostage des résidus organiques municipaux). L’adoption prochaine du projet de Règlement sur l’élimination des matières résiduelles devrait cependant avoir pour effet d’accroître de façon notable les coûts de l’enfouissement sanitaire, et favoriser indirectement la valorisation des matières organiques.

La ville de Laval a obtenu en 2003 la certification BNQ pour ses biosolides municipaux granulés. Cette certification devrait l’aider à maintenir ou améliorer le taux de valorisation de ses boues comme matières fertilisantes, particulièrement en agriculture. Montréal envisageait emboîter le pas et recommencer la granulation et la valorisation de ses boues au printemps 2004 (Luc Tremblay, comm. pers.). Il est à espérer que Québec favorisera aussi la  valorisation des boues granulées dans le cadre de son nouveau Plan de gestion des matières résiduelles (PGMR).

La question des odeurs demeure toujours un frein au compostage et à la valorisation des MRF. Le ministère de l’Environnement a donc entrepris une révision de ses critères d’aménagement et d’exploitation des lieux centralisés de compostage afin de minimiser les nuisances, tout en poursuivant les objectifs généraux de valorisation de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles 1998-2008. Quant à l’épandage de résidus non compostés, le Ministère a resserré ses critères en 2002 afin de minimiser les nuisances en zone rurale.

Au plan du risque environnemental, il arrive que des boues de fosses septiques soient épandues illégalement sur les terres agricoles, sans hygiénisation préalable. Suite à des constats d’illégalité, des avis d’infraction et des amendes ont été donnés par le Ministère aux contrevenants. Le Ministère et plusieurs fédérations de l’Union des producteurs agricoles ont de plus sensibilisé les agriculteurs aux risques liés à de telles pratiques, par le biais d’articles de vulgarisation. L’établissement de PGMR par les Municipalités régionales de comté devrait également favoriser l’identification et la solution des problèmes potentiels au niveau régional.

L’approche québécoise actuelle, et les efforts consentis par les divers intervenants, devraient permettre d’accroître le taux de récupération des matières résiduelles. Cela, tout en préservant le climat de confiance du public relativement à la filière de valorisation des résidus par épandage et compostage. Cependant, la confiance du public ne saurait être prise pour acquis et doit constamment être considérée dans la gestion des matières résiduelles. Ainsi, l’Ontario, qui était championne canadienne en valorisation des boues municipales au cours des années « 80 », fait maintenant face à une vague d’opposition sans précédent. Cette situation résulte d’une perte de confiance de la population suite à divers incidents, dont certains auraient pu être évités.

 

Remerciements

Merci aux personnes suivantes qui ont commenté le manuscrit original : Luc Tremblay, Ville de Montréal; Denis Burroughs, Ville de Laval; Françoise Forcier, Solinov; Réjeanne Goyette, GSI; Clément Audet, BNQ; Elisabeth Groeneveld, MENV; Richard Beaulieu, MENV.

  Références bibliographiques et électroniques

MENV. 2002. Critères provisoires pour la valorisation des matières résiduelles fertilisantes. Ministère de l’Environnement du Québec. 128 pages. http://www.environnement.gouv.qc.ca/
matieres/mat_res/fertilisantes/index.htm

Potvin, D. 2003. Compostage au Québec – enquête 2002. 4e Colloque québécois sur la gestion des matières résiduelles, 21-22 octobre 2003 Saint-Hyacinthe, Québec, Canada. Association québécoise des industriels du compostage

RECYC-QUÉBEC. 2003. Bilan 2002 de la gestion des matières résiduelles au Québec. https://www.recyc-quebec.gouv.qc.ca/sites/default/files/documents/bilan-gmr-2002.pdf

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