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Le Bacillus thuringiensis israelensis et le contrôle des insectes piqueurs au Québec
5. Impacts environnementauxL'innocuité écologique d'un insecticide se doit d'être évaluée non seulement par la réponse immédiate d'individus isolés ou d'un groupe d'organismes, mais aussi par des recherches sur les effets possibles sur les communautés (prédateurs et même détritivores) qui vivent dans le même habitat que l'espèce cible. Ces effets regroupent principalement les phénomènes de persistance et d'accumulation au sein de l'habitat, mais aussi les perturbations dans la chaîne alimentaire — la chaîne alimentaire est une succession d'organismes dans laquelle chacun se nourrit du précédent (ex. matériel organique è algues è larves de simulie è poissons è martin pêcheur è lynx). Sauf pour de très rares exceptions, un organisme utilise toujours plusieurs sources de nourriture, s'assurant ainsi que sa survie n'est pas mise en cause par la disparition de l'une d'elles. En réalité, le concept de chaîne alimentaire est absolument théorique et les communautés réelles sont caractérisées par la présence d’innombrables liens dits « trophiques » (c'est-à-dire de nature alimentaire) entre les espèces qui les constituent. C’est donc pourquoi on préfère maintenant faire référence à un « réseau trophique ». En général, plus ce réseau est diversifié, plus la capacité de l’écosystème à gérer la disparition momentanée d’un lien (c’est-à-dire sa résilience) est grande. Depuis la découverte du Bti une multitude de tests sur la sensibilité de la faune non cible à ce larvicide furent menés en laboratoire et lors d'expériences contrôlées sur le terrain en régions tropicales, tempérées et nordiques. Une bonne partie de l'information disponible provient cependant de l'examen de la faune non cible d'un plan d'eau lors de traitements opérationnels, ce qui explique l'abondance d'observations provenant des régions tropicales. Il y a une quantité considérable d'information concernant les effets à court terme des traitements au Bti sur les environnements aquatiques, mais très peu de données existent sur leurs effets à moyen et surtout long terme. Nous ne rapportons ici qu'un bref aperçu des études parmi les plus complètes concernant l'innocuité environnementale du Bti, sa persistance dans l'écosystème et les perturbations déterminées par ces études. 5.1 Effets du Bti sur la faune non cible L'analyse de l’information publiée indique que le Bti
est sécuritaire pour les organismes vertébrés et invertébrés non cibles, et
qu'il n'affecte qu'un très petit groupe d'insectes. Une compilation de 77
articles scientifiques rapportant de façon explicite les effets observés
lors de traitement au Bti en laboratoire et sur le terrain (table 1,
L'innocuité du Bacillus thuringiensis var. israelensis envers les organismes non cibles évoluant dans les mêmes habitats que les larves de moustiques et de mouches noires est bien établie. Les marges de sécurité par rapport aux doses (concentrations et temps de contact) opérationnelles appliquées sur le terrain indiquent que l'emploi du Bti est sécuritaire pour les micro- et les macro-invertébrés, les poissons, les batraciens et autres vertébrés. Ces mêmes résultats indiquent aussi que l'application du Bti, comme tout insecticide, doit être faite selon la dose prescrite sur l'étiquette afin d'éviter tout impact sur les espèces non cibles démontrant une faible susceptibilité aux Bti. D'ailleurs, le non-respect des directives affichées sur l'étiquette du produit, comme la dose à appliquer, constitue une infraction à la Loi sur les produits antiparasitaires. 5.2. Effets de traitements au Bti sur les écosystèmes aquatiques L'évaluation des effets sur les populations et communautés non cibles des traitements insecticides ponctuels ou répétés est généralement conduite sur le terrain, en milieux naturels ou semi-naturels. Par l'entremise de l'échantillonnage de la colonne d'eau et de substrats naturels (débris, cailloux, sédiments, végétation, etc.) et artificiels (pièces de surface ou de volume définis), les variations de comportements (migrations sur les substrats et dérive dans la colonne d'eau) et les changements dans la composition (ex. nombre d'espèces, nombre d'individus par espèce) et la biomasse (poids et volume de ces populations) de la communauté animale peuvent être suivie avant, pendant et après les traitements insecticides. Ceci permet non seulement de détecter les effets chroniques du Bti, mais aussi les effets potentiels sur la structure du réseau trophique de l'écosystème, i.e. la relation existant entre les diverses sources de nourritures et les divers consommateurs. Les études à court terme, c'est-à-dire celles qui analysent les effets observables à l'intérieur de quelques jours ou semaines après le traitement, doivent tenir compte des comportements et phénomènes naturels associés aux divers habitats pendant ces mêmes périodes. Dans un cours d'eau, presque tous les membres de la communauté peuvent, à un certain moment, délaisser leur position sur un substrat, pour se laisser dériver dans la colonne d'eau sur une courte distance — ce phénomène est appelé la « dérive ». La fréquence et l'intensité auxquelles les diverses espèces se retrouvent dans la dérive leur sont propres et une certaine partie de la population y est toujours présente. Ce comportement est normal et fait partie intégrante de l'écosystème des eaux courantes. Une augmentation de l'intensité de la dérive — nombre d'organismes présents dans la colonne d'eau par unité de temps — est l'effet le plus visible engendré par tout type de traitement larvicide des populations de mouches noires. Bien que les effets toxiques apparaissent généralement en moins de deux heures, les larves de mouches noires ne se détachent pas nécessairement de leur point d'ancrage lorsqu'elles meurent d'un traitement au Bti. Selon l'intensité du courant, les larves mortes sont éventuellement arrachées du substrat, ou bien elles se décomposent sur place. Certains chercheurs ont observé que, suivant la vitesse du cours d'eau, les larves mortes peuvent être présentes sur les substrats de quelques jours (Morin et al. 1988a), à plus de deux semaines après un traitement (Back et al. 1985; Wipfli et Merritt 1994b). Après un traitement au Bti, on retrouvera donc dans la dérive un nombre accru de larves de mouches noires vivantes, moribondes ou mortes, de même qu'une augmentation du nombre de certains invertébrés non cibles. Contrairement aux larves de mouches noires qui meurent éventuellement, les invertébrés non cibles capturés dans la dérive ne démontrent que très rarement des signes d'effet adverse. Bien qu'une augmentation de l'intensité de dérive ne soit pas une indication d'un effet toxique en soi, toute intensification non naturelle des comportements conduisant à l'entrée dans la colonne d'eau place les organismes dériveurs à un plus grand risque de prédation. Comparativement à une augmentation pouvant atteindre momentanément 200 fois la valeur de prétraitement chez les larves de mouches noires, une intensification d'environ 0 à 6 fois la valeur normale de la dérive d'invertébrés non cibles peut être observée dans les 12-24 heures suivant un traitement au Bti. (Dejoux 1979; Pistrang et Burger 1984; Back et al. 1985; Dejoux et al. 1985; de Moor et Car 1986; Merritt et al. 1989). Quoique l'intensité de la dérive observée soit très variable selon les études, les invertébrés non cibles qui y sont le plus souvent rencontrés sont principalement certaines espèces d'éphémères et de trichoptères (Pistrang et Burger 1984; Dejoux et al. 1985; Yaméogo et al. 1988). Certains chironomides — moucherons qui ne piquent pas — y sont aussi présents et sont de façon dominante représentés par les Chironominae (Yaméogo et al. 1988; Jackson et al. 1994; McCracken et Matthews 1997). On y a aussi retrouvé certains plécoptères et lépidoptères (Pistrang et Burger 1984; Wipfli et Merritt 1994a; Jackson et al. 1994). Cependant, une étude comparative des résultats d’un traitement annuel effectué entre 1989 et 1997 sur un tronçon de rivière (3,2 km; Pennsylvanie, États-Unis) avec le même produit, indique que la réponse d’un taxa non cible à un traitement au Bti peut varier de façon significative d’une année à l’autre (Jackson et al. 2002). Les auteurs ajoutent que, lorsque les résultats sont considérés dans leur ensemble, il est difficile de conclure avec certitude que les changements dans la dérive des taxa, autre que la mouche noire, sont directement reliés au Bti, car un organisme ayant démontré une augmentation de sa dérive lors d’un traitement peut tout aussi bien ne pas avoir démontré de réponse lors d’un autre. Cette conclusion supporte les résultats de l’étude de Back et al. (1985) qui démontre que l’analyse de la dérive sur plusieurs cycles circadiens (c'est-à-dire de la variation du nombre d’individus de chaque taxa observé dans la dérive sur un cycle de 24 heures) précédant un traitement – dans ce cas quatre jours avant traitement – peut permettre de démontrer qu’à l’exception du site d’échantillonnage situé à 100m sous le point d’application les changements du taux de dérive des organismes non cibles ne sont pas significativement différents des taux prétraitements. Il est important de noter que des auteurs ayant observé une augmentation inexpliquée du taux de dérive de certains organismes non cibles ont émis l’hypothèse que les « ingrédients inertes » de la formulation (eg. produits émulsifiants, dispersants, anti-microbiens, etc., communément appelé « additifs ») pourraient jouer un rôle dans le déclenchement de cette dérive (Pistrang et Burger 1984; Gibbs et al. 1986). Les « ingrédients inertes » ont également été cités comme étant probablement la cause d’effets majeurs observés à la suite d’essais en surdosage sur des organismes non cibles (Fortin et al. 1986; Holck et Meek 1987; Snarski 1990, Wipfli et Merritt 1994a). Nonobstant les études sur les effets à court terme, des traitements au Bti sur les mouches noires en régions tempérées n'ont démontré aucune différence significative sur la quantité (nombre total d'individus et biomasse totale) et la composition taxonomique (présence relative des différentes espèces) et fonctionnelle (présence relative des différents groupes comme les filtreurs, les brouteurs, les prédateurs, etc.) de la dérive ou de la communauté benthique — individus vivant sur le fond — attribuable à l'effet du Bti (Merritt et al. 1989; Molloy 1992, Jackson et al. 2002). Certains de ces auteurs précisent cependant que, dans plusieurs des études publiées, certains des changements observés chez la faune non cible suivant un traitement au Bti pourraient être attribués à des variations dues à l'échantillonnage plutôt qu'à un effet imputable au Bti (Merritt et al. 1989). Dans la majorité des mares à moustiques, on ne peut pas vraiment parler de dérive puisqu'il n'y a pas de courant proprement dit. En conséquence, les effets à court terme observables dans les mares sont principalement reliés à des fluctuations en nombre d’individus (la densité) ou à des changements notables de comportement. Outre la réduction des densités de populations de chironomides citée par plusieurs auteurs (Garcia et al. 1980; Miura et al. 1980; Ali 1981; Sebastien et Brust 1981; Mulla et al. 1982a; Mulla 1985; Aly et Mulla 1987; Lacey et Mulla 1990; Mulla 1990; Liber et al. 1998; Hershey et al. 1998), des brûlots (cératopogonides), tipules, notonectes (espèce de punaise d’eau prédatrice des larves de moustiques), de même que certains vers (annélides oligochètes) sont cités comme organismes ayant démontré une réduction de leurs nombres suivant des traitements au Bti (Purcell 1981, Charbonneau et al. 1994, Hershey et al. 1998). À l’exception de l’étude de Hershey et al. (1998) qui indique une diminution possible du nombre d’espèces prédatrices, la grande majorité des études concluent qu’aucun effet négatif n'est apparu sur le développement et la structure des communautés non cibles lors de traitements de populations de moustiques. 5.2.2 Études à moyen et long terme Outre l'aspect monétaire, le principal problème associé à des études à moyen et long terme, i.e. des études nécessitant des observations fréquentes réparties sur plusieurs mois – voire plusieurs années – est de pouvoir différencier entre les impacts potentiels d'un traitement répété et les variations naturelles des populations et des communautés observées. Chez la mouche noire, l'effort le plus soutenu visant le contrôle des populations pestes est celui de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui, en Afrique de l'Ouest, traita hebdomadairement entre 1974 et 1998 plusieurs rivières avec du Bti et quelques insecticides chimiques afin d'enrayer la propagation de l'onchocercose — une maladie causée par un parasite transmis par la morsure des mouches noires. Tout comme on aurait pu le prévoir durant des études à court terme, les tanytarsinides du groupe des chironomides furent les espèces non cibles les plus sensibles au Bti, démontrant une raréfaction au cours des ans. Bien que moindre, une réduction des Leptoceridae (trichoptères à prédominance détritivore) fut aussi remarquée. Cependant, aucune diminution notable du nombre global d’invertébrés attribuable au traitement à long terme ne fut observée compte tenu de l’augmentation d’autres taxa comme les hydropsyches et les philopotamides — prédateurs opportunistes des larves de mouches noires (Dejoux et Elouard 1990, Crosa et al. 2001). Selon les auteurs de la dernière évaluation, la faible diminution du nombre total d’invertébrés non cibles observée était plutôt attribuable à l’augmentation graduelle des débits annuels au cours des dernières années de traitement (Crosa et al. 2001). Ce suivi environnemental n'a également révélé aucun impact direct ou indirect de ces traitements hebdomadaires (Bti et larvicides chimiques utilisés en rotation pour éviter le développement de résistance) sur les populations de poissons de la région (Kurtak et al. 1987). De plus, après une période de 14 ans, aucune évidence d'effets négatifs à long terme sur la structure de la communauté des invertébrés de ces rivières et la fonctionnalité des écosystèmes s’impose (Calamari et al. 1998, Crosa et al. 2001). En Amérique du Nord, des conclusions semblables émergent du suivi des impacts directs (mortalité) et indirects (effets sur le réseau trophique) de traitements continus au Bti, instaurés en 1985 par l’État de la Pennsylvanie (États-Unis) sur plus de 2 650 km de cours d’eau (52 ruisseaux et rivières), pour contrôler la nuisance occasionnée par la mouche noire Simulium jenningsi. Une étude détaillée de l’un de ces réseaux (la rivière Susquehanna) s´étalant sur une période de cinq ans établit que, bien que 26 taxa aient démontré une réponse aux traitements, aucune évidence reconnaît que ces traitements annuels affectent les macro-invertébrés non cibles et les poissons de manière à entraîner des changements écologiques significatifs de la structure et de la fonction de cette rivière (Jackson et al. 2002). Une étude antérieure par Molloy (1992) démontre également qu’après deux ans de traitements annuels au Bti, aucun effet négatif sur la communauté non cible d'une rivière des montagnes Adirondack de l'État de New York n'a été observé. Chez les moustiques, bien qu’il existe dans le monde de nombreux programmes de traitement à base de Bti, comme en Allemagne où 100 villes et villages sont traités depuis 1976 (Becker 2003), et au Minnesota (États-Unis) où depuis 1984 plus de 500 km2 sont traités annuellement au Bti, peu d’études sur les effets environnementaux à long terme ont été publiées dans la littérature scientifique. Seule une étude s’étalant sur cinq ans, dont trois ans de traitements intensifs au Bti (six épandages sur trois mois, entre 1991 et 1993), a examiné explicitement l’effet de ces traitements sur la structure et le fonctionnement de l’écosystème (Hershey et al. 1998; Niemi et al. 1999). D’après ces auteurs, après un délai de deux à trois ans, les traitements auraient causé une réduction dans la richesse des taxa et le nombre total des invertébrés. Ils poursuivent en concluant que ces changements auraient perturbé le réseau trophique chez les invertébrés, sans affecter les populations de zooplancton et d’oiseaux nicheurs. Cependant, un suivi (par d’autres chercheurs) de ces mêmes populations d’invertébrés en 1997 et 1998 a démontré que les effets originellement observés entre des zones traitées et non traitées n’étaient plus aussi apparents malgré l’application intensive et continue de Bti depuis 1991 (Balcer et al. 2004). L'établissement de projets de recherches visant l'étude systématique des effets à long terme des traitements insecticides est très complexe à réaliser sous des conditions purement expérimentales. Certaines variations dans la structure de la communauté vertébrée et invertébrée d'un habitat peuvent cependant être évaluées en comparant des zones biogéographiquement semblables ayant subi des traitements différents. Au Canada, grâce à la nature des traitements, la présence sur un même territoire de zones contiguës traitées et non traitées est favorable pour ce type d'évaluation. La multitude et la variété des habitats présentement sous traitement (mares permanentes et temporaires, ruisseaux, petites et grandes rivières, etc.) représentent une excellente source d'information et de sites d'études. Considérant les résultats des recherches faites sous des conditions semblables à celles que l’on trouve au Québec, il y a tout lieu de croire que des conclusions identiques seraient présentées pour le Québec. 5.3 Effets sur le réseau trophique Parce qu'ils induisent une mortalité chez plusieurs groupes d'organismes occupant différentes fonctions dans l'écosystème, l'impact des insecticides chimiques sur les réseaux trophiques et la structure des communautés aquatiques et terrestres est généralement bien documenté. Bien que les principes décrivant les relations entre les diverses communautés d'un écosystème soient bien établis et démontrés, peu d'information concernant directement les effets écologiques et structuraux associés à la réduction massive, ponctuelle et récurrente d'un seul groupe d'individus circule. Toutefois, depuis la venue du Bti, quelques études sur les effets associés à la présence et à la disparition momentanée (ponctuelle) des larves de moustiques et de mouches noires sont publiées. Nous ne rapportons ici qu'un bref aperçu des principaux phénomènes reliés au réseau trophique et à la structure d’un écosystème pouvant être affectés par les traitements au Bti. Bien que tous les chercheurs soient d’accord pour dire que les invertébrés filtreurs, et plus particulièrement les larves de mouches noires, jouent un rôle dans la transformation et la circulation du matériel organique dans l’écosystème aquatique (principalement par l’ingestion de particules ultrafines et l’excrétion de particules plus grosses), l’importance de ce rôle en relation à d’autres phénomènes varie selon les études. Plusieurs chercheurs notent une augmentation significative du nombre de grosses particules (>50µm) en suspension dans un ruisseau immédiatement en aval d’une population dense de mouches noires (Merritt et al. 1984, Hershey et al. 1996, Wotton et al. 1998, Malmqvist et al. 2001). Certains estiment qu’entre 0 et 13 % du matériel en suspension peut se retrouver au fond d’un cours d’eau à la suite de l’action des larves de mouches noires (Hall et al. 1996, Wotton et al. 1998, Monaghan et al. 2001) où il est recirculé. Par suite de l'élimination (après un traitement au Bti) d'une importante population de larves de mouches noires (plus de 25 larves par cm2), Morin et ses collègues (Morin et al. 1988a) ont observé une faible augmentation, bien que, statistiquement non significative, de la quantité de particules (en poids sec) circulant dans un cours d'eau. Bien qu'ils mentionnent que les larves peuvent ingérer entre 32 et 55 % des particules pour n’en assimiler que 8 - 9 % de la masse, ils n'indiquent pas cependant s'il y a eu changement dans la grosseur des particules circulant dans le cours d'eau après ce traitement. Il est à noter que cette étude fut conduite dans des conditions extrêmes, i.e. dans des conditions où le rapport du nombre de larves en fonction du volume d'eau circulant dans le cours d'eau est très élevé. Prédateurs (ex. odonates, plécoptères, trichoptères, hémiptères, coléoptères, têtards et poissons) et détritivores (ex. crustacés, éphémères, plécoptères) consomment des larves de moustiques et de mouches noires mortes d'un traitement au Bti sans que leur croissance et leur émergence en soient affectées (Sebastien et Brust 1881; Lacey et Dame 1982; Olejnicek et Maryskova 1986; Aly et Mulla 1987; Leclair et al. 1988; Mulla 1990; Wipfli et al. 1994; Wipfli et Merritt 1994a, 1994b). De plus, Wipfli et Merritt (1994a) ont remarqué que, suivant un traitement au Bti, les espèces détritivores troquent les morceaux de matières organiques dont ils se nourrissent habituellement pour les cadavres de larves de mouches noires. Ils indiquent aussi que la majorité des prédateurs ne démontrent généralement pas de préférence dans la consommation de larves mortes ou vivantes, mais que certaines espèces peuvent afficher des préférences transitoires. Certains chercheurs (Wotton et al. 1993) signalent cependant que les habitudes alimentaires d'une espèce prédatrice peuvent fluctuer d'un individu à l'autre et d'une journée à l'autre. Wipfli et Merritt (1994b) ont aussi observé que la réduction du nombre de larves de mouches noires peut affecter de façon différente le comportement alimentaire d'un prédateur de type spécialiste (préférant un type de proies) et celui de type généraliste (n'ayant pas vraiment de préférence pour un type de proies). Ils précisent que, dans un milieu pauvre en larves de mouches noires, les prédateurs généralistes seront les moins affectés puisque ceux-ci consomment plus aisément des proies « alternatives ». Ils signalent cependant que la croissance de ces mêmes prédateurs dans un environnement pauvre ou riche en larves de mouches noires est identique. Parce que le Bti est l'un des insecticides les plus sélectifs présentement disponible pour le contrôle des moustiques et des mouches noires, les chercheurs l'utilisent comme un outil pour étudier les perturbations du réseau trophique des systèmes aquatiques (Morin et al. 1988a, Monaghan et al. 2001). Toutes les recherches dans ce domaine arrivent à la conclusion que tout organisme vivant a un rôle dans l'écosystème, mais que ce rôle n'est qu'à de très rares exceptions tenu par une seule espèce ou même groupe d'individus (Figure 1). On peut donc s'attendre à ce que l'intensité de ce type d'impact soit inversement proportionnelle à la complexité de l'écosystème, i.e. que moins l'écosystème local abritant la population de mouches noires ou de maringouins traitée est complexe (faible nombre d'espèces), plus celui-ci peut être affecté par la disparition de ces derniers.
5.4 Persistance du Bti dans l'environnement Lorsque l'on parle de la persistance du Bti dans l'environnement, on se doit de tenir compte de trois éléments : la persistance de l'effet toxique des cristaux, la persistance physique du cristal en tant qu'agglomération de protéines et la persistance de la bactérie sous forme de spore. La persistance de l'effet toxique du Bti dépend principalement de la disponibilité des cristaux (voir section 3.1 et figure 6). Généralement, à l'exception des briquettes (qui relarguent du Bti sur une base continue pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines), l'effet toxique de la majorité des formulations commerciales sur la faune cible s'estompe rapidement, suivant un niveau de toxicité initial élevé jusqu'à sa disparition en quelques jours dans les milieux lotiques (Mulligan et al. 1980; Davidson et al. 1981; McLaughlin et Billodeaux 1983; Mulla et al. 1985; Su et Mulla 1999) et, en quelques minutes, en eau courante (la période d'activité toxique se limite au passage du « nuage » d'insecticide dans la rivière ou le ruisseau). En général, on remarque que l’éclosion et le développement de nouvelles larves de moustiques sont observables trois ou quatre jours après un traitement de leur habitat. Cette faible persistance de l'activité toxique est attribuable à la floculation, l'adsorption sur des substrats naturels (eg. les algues recouvrant les plantes submergées) et à la sédimentation des cristaux de Bti, et ce, quoique leur durée de vie — i.e. leur présence physique — s'étende sur plusieurs semaines, voire possiblement des années en laboratoire et sur le terrain (Dupont et Boisvert 1985, Boisvert et Boisvert 1999). Les cristaux ainsi « immobilisés » conservent leur potentiel toxique pour les espèces sensibles et demeurent amorphes pour tout organisme ne possédant pas les conditions physiologiques nécessaires à leur activation. Cette immobilisation n'est pas nécessairement permanente puisqu'une agitation et une resuspension des sédiments peuvent rétablir une partie de l'activité toxique (Sheeran et Fisher 1992). De même, on a pu récupérer, par filtration des sédiments, près de 90 % de l'activité toxique des cristaux de Bti, et ce, jusqu'à 22 jours suivant leur application (Ohana et al. 1987). Bien que la germination des spores et la croissance des cellules végétatives soient possibles dans les cadavres de moustiques traités au Bti (Aly 1985), cette bactérie est incapable d'établir et de maintenir un niveau d'infection capable de contrôler une population naturelle de moustiques ou de mouches noires (Ramoska et al. 1981, Boisvert et Boisvert 1999). Aucun cas d'activité larvicide résiduelle n'est rapporté en eaux courantes, bien que des cristaux de Bti aient été retrouvés dans les tapis d'algues, de mousse et d'herbes recouvrant le fond du cours d'eau, de même qu'à plus de 60 cm sous le lit de celui-ci dans la zone appelée « hyporhéique » (Tousignant et al. 1993). À partir des échantillons prélevés, des mortalités allant de moins de 10 % (herbes et sédiments fins) à plus de 90 % (tapis d'algues et de mousse) furent observées en laboratoire sur des larves de moustiques. Les cristaux, comme les spores, sont donc « filtrés » par ces différents compartiments de l'habitat, lorsque l'eau chargée de ces substances y circule. Des études menées en Suède (Vought et al. 1991) et aux États-Unis (Triska et al. 1989) sur le comportement des pollutions agricoles ont clairement démontré la présence d'un échange d'eau important entre le cours d'eau, son lit et ses berges — l'eau entre dans le lit ou les berges pour en ressortir plus loin, agissant ainsi comme un filtre. Aucune étude sur le comportement des spores et cristaux de Bti n'a cependant été conduite pour déterminer combien de temps ils demeurent « immobilisés » dans ces zones. Les cristaux et les spores de Bti sont présents dans l'écosystème aquatique pour une période qui excède celle de l'activité toxique. La durée de vie d'un cristal de Bti n'est pas précisément connue, mais en tant que matériels organiques — tout comme les poils, les os et la cuticule d'insectes — les cristaux de Bti sont éventuellement dégradés et leurs constituantes (acides aminés) sont recyclés dans l'écosystème. La vitesse à laquelle ils seront recyclés sera principalement dépendante de l'activité enzymatique du milieu. Cette activité est liée, entre autres, à la présence d'organismes microscopiques (ex. algues, bactéries et moisissures) et à la température du milieu. Les fluctuations naturelles du pH ne sont pas assez considérables pour jouer un rôle important dans le recyclage. Malgré une utilisation de plus en plus fréquente depuis plus de 20 ans, il n'y a pas, à notre connaissance, d'études exhaustives concernant l'accumulation et la durée de vie des cristaux et des spores de Bti, à la suite de traitements répétés durant de nombreuses saisons. Cependant, dans les zones où la réinvasion est grande (comme au Québec), les doses et l'intensité des traitements demeurent semblables au cours des ans, ce qui semble indiquer qu'il n'y a pas pour le moment de phénomène imputable à la persistance des cristaux et de l'activité toxique de même qu'à la germination et la multiplication de la bactérie — i.e. un recyclage du Bti. Ces constatations sont une indication de la faible persistance dans l'environnement du Bti provenant des formulations insecticides. L'innocuité du Bti pour les humains et les animaux domestiques établie selon les procédures du type « Impact maximal » (cf. sections 3.4 et 3.5 de ce document) suggère que l'ingestion de Bti (cellules végétatives, spores et cristaux) à des concentrations retrouvées dans les systèmes aquatiques traités ne pose aucun risque pour la santé humaine (WHO 1999). Comme mesures préventives, il est cependant interdit au Canada et aux États-Unis d'appliquer directement du Bti dans une eau traitée prête à la consommation. Il est également recommandé de fermer la prise d'alimentation des systèmes d’approvisionnement et d'épuration pendant la période de traitement. Néanmoins, ailleurs dans le monde, plusieurs formulations commerciales de Bti (identiques à celles qui sont retrouvées au Canada) sont utilisées directement dans l'eau potable (jarres et réservoirs), notamment en certains endroits de l’Afrique et de l’Asie. De plus, il est fort peu probable que des épandages de Bti puissent en venir à contaminer les nappes phréatiques et éventuellement se retrouver dans l’eau potable d’un puits. Des études ont démontré qu’après un épandage, le Bacillus thuringiensis se déplaçait très peu en profondeur dans le sol, les spores ayant une grande affinité pour les particules argileuses du sol. Par exemple, après des épandages de Bt sur un sol recouvert de 45 cm d’eau, les spores de Bt n’ont migré que de 6 cm dans le sol (Akiba 1991). 5.5 Développement potentiel d'une résistance au Bti L’avènement du virus du Nil au Québec a créé une situation unique, en ce sens que des traitements à grande échelle et répétitifs (contre les larves de moustiques) au cours de l’été risquent de devenir chose courante. Ces traitements sont maintenant au centre des préoccupations de plusieurs personnes qui craignent la possibilité de l’apparition de résistance. Le développement rapide de résistances est l'un des problèmes majeurs associés au contrôle des insectes par des produits chimiques. La possibilité qu'un insecte développe une résistance à un agent de contrôle biologique est par contre faible. La probabilité que cela se produise décroît à mesure que la complexité du mode d'action entre le pathogène et l'insecte cible s'accroît. Dans le cas du Bti, cette complexité provient de l’action combinée et synergique des quatre protéines associées au processus toxique des cristaux. (chapitres 3.2, 3.3). Certains chercheurs (Georghiou et al. 1983; Gharib et Szalay-Marzso 1986; Goldman et al. 1986, Saleh et al. 2003) ont pu induire, en laboratoire, une faible résistance au Bti chez certaines lignées de moustiques après plusieurs (14 à 32) générations. En élevant en laboratoire, génération après génération, les moustiques en contact continu avec une dose de Bti ne laissant que peu de survivants (généralement 10-25 %), ces chercheurs ont observé une augmentation de la DL50 — la dose nécessaire pour induire la mortalité chez 50 % des sujets traités. Toutefois, cette résistance disparaît en quelques générations (3-4), lorsque les insectes sont replacés sous des conditions normales, i.e. sans exposition au Bti et en permettant la reproduction avec des individus provenant de d'autres lignées. Cette perte rapide de résistance indique l'instabilité génétique de celle-ci. En Allemagne, Becker et Ludwig, (1993), n'ont constaté aucun phénomène de résistance chez les larves de moustiques, et ce, après plus de 10 ans de contrôle. De même, Kurtak et al. (1989) n'ont pas trouvé de résistance chez les larves de mouches noires dans les rivières traitées durant une période de sept ans avec du Bti. À notre connaissance, aucun document scientifique ne rapporte une résistance au Bti à la suite de nombreux traitements, que ce soit en milieu tropical ou tempéré, ou pour des traitements contre les moustiques ou les mouches noires. La résistance observée en laboratoire fut induite dans des pressions « extrêmes », dans un style semblable à celui des tests d'innocuité de type « Défi maximal » et ne représente aucunement les conditions observables sur le terrain. Sous des conditions opérationnelles, les insectes ne sont exposés aux cristaux de Bti que pour une courte période de temps et, s'ils survivent au traitement, ils peuvent se reproduire avec des individus qui proviennent de régions non traitées (immigration et émigration aidées des vents). Bien que la possibilité qu'une résistance aux cristaux de Bti se développe sur le terrain soit théoriquement possible, la probabilité qu'un tel événement se produise est très faible. En effet, Georghiou et Wirth (1997) ont pu démontrer que même s’il était possible de développer des lignées de moustiques résistantes à chacune des toxines prise individuellement, cette résistance observée disparaissait dès que ces toxines étaient combinées comme dans le cas du cristal naturellement produit. Au Québec, les programmes de contrôle des moustiques dans le cadre de la lutte contre le virus du Nil (VNO) ne font appel qu’à quelques traitements au Bti durant l’été. Plusieurs municipalités ont également des programmes de lutte contre la nuisance (moustiques et mouches noires), mais on parle généralement de 3-4 traitements au cours du printemps et de l’été. Mais peu importe, la possibilité de développer une résistance est excessivement faible. Les traitements visent un taux de mortalité très élevé. Il y aura certainement des générations de larves qui ne seront pas traitées (donc, pas de nombreuses générations successives continuellement exposées), des individus provenant de zones non traitées viendront se mélanger aux populations exposées (phénomène de réinvasion causé par le déplacement des moustiques adultes). Bref, on réunit les conditions ne favorisant pas le développement de la résistance. Comme le suggère Becker et Ludwig (1993), les utilisateurs devraient tout de même vérifier à intervalles réguliers, l’apparition possible d’espèces résistantes au Bti. Mais cette surveillance est très difficile à réaliser étant donné les variations de sensibilité entre les espèces et à l’intérieur d’une même espèce (Writh et al. 2001), et en fonction des conditions de terrain. Une attention particulière devrait être portée aux produits à relarguage lent ou à longue persistance, mais dont l’efficacité d’action en conditions de terrain laisse un certain pourcentage (10-20 %) de survivants durant plusieurs générations… c’est la façon de développer la résistance en laboratoire! La possibilité de développer une résistance avec un produit causant 80-90 % de mortalité durant 30 jours est plus grande que celle d’un produit tuant 100 % des larves durant 2-4 jours et qui voit cette efficacité réduite à 0 % en quelques jours. |
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